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LA PIERRE BLANCHE
14 mars 2007

L’HOSPITALITE : VIE DE L’EGLISE

 Pour beaucoup d’entre nous, au commencement, il y a un bateau qui ouvre large ses portes. L’hospitalité ecclésiale dont je vais essayer de parler n’est donc pas abstraite, nous sommes ici parce qu’un jour, au bord de la Seine, nous avons été bousculés par l’éclat de son cambouis. Son intuition se nourrit alors d’une parole qui relève les hommes, qui est hospitalière absolument à chacun… et cette parole, dans le respect infini que Dieu montre à tous les hommes, nous la recevons en Eglise. La réflexion que je vous propose, c’est donc tout à la fois : une expérience marquée par un bateau de Seine, une inspiration attentive à la Parole faite chair, et des mots qui tentent de se frayer un chemin de l’un à l’autre dans les deux sens.

Entre les deux mots « hospitalité » et « Eglise », il y a un lien vital à recueillir : le mystère de la vie baptismale. Il place l’hospitalité au cœur de la foi. Notre itinéraire pour y arriver va commencer par une parabole qui ne fait pas référence à Dieu : parce que l’inspiration évangélique s’ouvre à l’humanité entière. Mais dans un deuxième temps notre cri sera de comprendre combien l’Eglise, par le mystère qui l’anime, aspire à se faire hospitalière. Et nous verrons surgir enfin quelques uns des chemins d’hospitalité qu’elle a concrètement inspirés.

I – Raconter l’hospitalité en parabole

la Parole

Cette partie est placée sous le signe de Dieu qui s’adresse à tout homme.

L’hospitalité commence par un surgissement. Elle naît, toujours imprévisible, sans s’encombrer d’explications. C’est clair dans la parabole que je vais reprendre, qui nous parle d’un Samaritain prenant sur sa monture un homme laissé à moitié mort (Lc 10, 25-37).

Mais il faut une suite à ce commencement sinon l’homme ne serait jamais soigné. Justement, au bout du chemin, il y a une auberge. L’hospitalité se prolonge donc toujours chez quelqu’un qui prend le temps de prendre soin.

 1er temps : quand l’amour surgit en acte

L’enjeu de la parabole du Samaritain c’est le commandement d’amour : aimer son prochain. Indissociable de l’amour de Dieu, il en est cependant distinct. L’amour du prochain ne se pose pas la question de Dieu, il surgit en acte.

La parabole présente un monde de violences et d’injustices. Un voyageur se fait attaquer par des bandits : ils le dépouillent, le rouent de coups et le laissent à moitié mort. C’est aussi un monde ou règne l’indifférence et le repli sur soi : le prêtre et le lévite changent de côté pour ne pas le croiser.

Nous ne sommes plus en Samarie, mais les comportements demeurent : ces violences et ces injustices, cette indifférence et ce repli qui façonnent nos structures et nos comportements sociaux, comment ne pas en être complices ?

Dans un monde violent et indifférent, surgit un samaritain qui ne se pose pas de question. Il voit l’homme et est saisi de pitié. Voilà ce qui fait défaut aux bandits, au lévite et au prêtre. Saisi de pitié, il n’esquive pas la responsabilité : il s’approche, soigne les plaies, l’emmène dans une auberge et prend soin de le confier à l’aubergiste. Le samaritain nous guide de la violence à l’hospitalité. Du repli sur soi à la communauté d’entraide. Son regard laisse surgir une force « hospitalière ». Et c’est un monde nouveau qui naît, un monde où les personnes se croisent s’entr’aident et se soutiennent

 2ème temps : construire une fraternité durable

De fait, la première chose que sollicite cette force « hospitalière », c’est de l’aide. Le Samaritain a besoin d’un aubergiste pour les soins. L’hospitalité qui surgit n’est effective qu’à condition d’entrer dans cette seconde étape. L’auberge nous éclaire donc sur les conditions dans lesquelles se construit une fraternité durable.

Tout d’abord le samaritain n’est pas seul : il rencontre l’homme laissé à moitié mort puis l’aubergiste. J’aime penser qu’il y a aussi des gens qui travaillent dans l’auberge et qui la font tourner, ainsi que d’autres hôtes qui apportent leur compagnie. Et j’imagine que selon les événements de la vie nous pouvons être, tour à tour, laissés à moitié morts, samaritains, aubergistes, serviteurs ou hôtes ordinaires.

Ensuite, les relations que toutes ces personnes tissent s’installent dans la durée. La prise en charge imprévue de cet homme engage une responsabilité partagée de l’aubergiste et du samaritain. L’un promet de prendre soin, l’autre de revenir payer. Leur fidélité dans la durée reconstruit l’horizon de l’homme à moitié mort.

Enfin, pour que le temps s’élargisse, il faut une auberge qui s’ouvre. L’aubergiste accepte qu’un homme à moitié mort vienne chez lui. Il ne se barricade pas mais se laisse rejoindre. Il nous invite à comprendre l’hospitalité comme l’art de cultiver des lieux où vraiment tout le monde soit le bienvenu…

En partageant, par son regard, la souffrance de l’homme blessé, le samaritain, casse la logique de violence et d’indifférence. Mais il reste encore à construire avec d’autres la paix et la reconnaissance, jusqu’à partager ensemble la joie d’être guéri.

II – Aimer l’Eglise en quête du Christ

Cette seconde partie est placée sous le signe de la conscience renouvelée que l’Eglise a d’elle-même depuis Vatican II. Elle résonne aussi tout particulièrement de la dernière encyclique de Benoît XVI[1].

L’Eglise est travaillée au coeur par le visage de ces hommes laissés à moitié mort sur la route, parce que c’est à elle en premier chef que s’adresse la parabole. Elle ne peut séparer l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Elle proclame qu’en Jésus-Christ, Dieu s’est fait homme, c’est-à-dire que dans son amour pour nous, il s’est fait infiniment proche. Pour cela elle a besoin que nous l’aimions, et nous avons besoin de découvrir combien elle est aimable. Ce que je vais essayer de dire maintenant est un peu compliqué, mais c’est un cri d’amour. J’aime l’Eglise non pas seulement telle qu’elle nous apparaît, mais telle qu’elle est en son mystère. Aimer Dieu et son prochain, c’est mystérieusement aussi aimer cette Eglise qui est doublement hôte du Dieu de Jésus-Christ. Elle l’accueille et elle est accueillie par lui.

L’Eglise est l’hôte qui accueille le Dieu tout aimant.

Pour simplifier je voudrais souligner quelques mots qui nous font entrer dans l’amour dont Dieu nous aime : la trinité, le baptême, la conversion et l’identité ecclésiale.

Le mystère de l’Eglise est animé par la vie de don, d’échange et de réciprocité entre les personnes de la trinité.

Le baptême fait entrer chaque chrétien dans cette vie nouvelle que Dieu veut partager avec les hommes.

Il engendre un mouvement de conversion tant personnel que communautaire pour accueillir toujours à neuf l’amour de Dieu.

L’identité ecclésiale à convertir est conjointement une identité d’homme, de croyant et de chrétien. Elle associe l’hospitalité du prochain, le dialogue inter-religieux et l’engagement œcuménique.

L’Eglise est hôte : accueillie dans le monde où le Christ la précède.

Mais Dieu n’a pas attendu l’Eglise pour entrer dans le monde, il la précède de tout temps. Parce qu’elle est ainsi précédée par Dieu, l’Eglise accepte de se laisser accueillir par le monde. Elle est l’hôte de Dieu qui lui fait découvrir dans le monde les dons de son amour. Le mystère du Christ venu dans le monde s’approfondit ainsi en le découvrant toujours à l’œuvre dans le monde avec un visage d’aujourd’hui. L’Eglise, toute tournée vers le Christ, cherche à le rencontrer dès maintenant, là où il suscite une vie baptismale renouvelée.

Bruno Chenu évoque alors deux visages du Christ. Le Christ, aujourd’hui, se montre à travers le visage du disciple et du pauvre. Sur le chemin d’Emmaüs, le Christ s’est révélé à deux disciples qui en accueillaient un troisième ; et lors du jugement dernier, le Christ se révèle dans la personne du prisonnier visité, de l’affamé nourri, de l’attristé consolé. La rencontre, en Eglise, des disciples et des pauvres est gage de sa vitalité baptismale. En lui faisant redécouvrir son visage, le Christ lui redonne vie : les JMJ et les maisons diocésaines sont ainsi des lieux de vitalité ecclésiale centrés sur le visage du disciple.

Nous allons voir ensemble quelques lieux centrés sur le visage du pauvre.

III – Découvrir l’Eglise hospitalière

Cette partie est placée sous le signe de toutes les règles qui ont vivifié l’esprit de communautés hospitalières. Elle invite aussi à retrouver les itinéraires augustiniens qui l’ont nourrie[2].

Dans la foi, nous croyons que l’Esprit a suscité le geste du samaritain et qu’Il suscite aussi les moyens de prolonger ce geste. L’Eglise, justement, qui naît de la diversité des dons de l’Esprit, façonne des « auberges » : leur discrète hospitalité est paradoxalement aussi mal connue qu’elle est socialement déterminante. Car l’Eglise, elle l’a elle-même un peu oublié, est vraiment experte en hospitalité. Les figures modernes comme l’Abbé Pierre ou le Père Wrézinsky, dont l’inspiration est profondément ecclésiale, ne mobilisent guère les communautés chrétiennes en tant que communautés chrétiennes.

Une vivante tradition d’hospitalité monastique

Pour scruter quelques lieux qui donnent chair à l’hospitalité ecclésiale, nous allons donc plutôt plonger dans la tradition monastique. Mais si son histoire serait riche d’enseignement, c’est sa discrète fécondité qui nous retient ici.

J’arrive de Ligugé où j’ai été accueilli par des moines bénédictins. Leur règle ne manque pas d’humour : « On aura souci d’entourer des plus grandes attentions les pauvres et les voyageurs : car l’hospitalité qu’on leur offre s’adresse plus manifestement au Christ ; dans le cas des riches, la seule crainte de leur déplaire garantit assez de déférence[3]. »

Frère Louis, l’hôtelier me partageait quelques convictions. J’en retiens quatre pour éclairer toutes nos communautés :

- St Benoît a mis en forme dans sa règle les grands principes d’une hospitalité à laquelle beaucoup aspirent.

- recevoir des hôtes, ce n’est pas une charge à assumer bon gré mal gré, c’est vital pour la communauté : pour l’empêcher de tourner en rond, de vivre en cercle fermé.

- La vie de communauté est évangélisatrice par elle-même. St Benoît, patron de l’Europe, a évangélisé en installant des monastères un peu partout.

- C’est dans un mouvement de retrait que la vie monastique se fait hospitalière…

Et cette dernière conviction m’interroge sur le retrait qu’il nous faut assumer pour être hospitalier tant aux exclus qu’aux inclus de notre société… cette hospitalité ne peut-elle inspirer nos communautés paroissiales, religieuses, familiales ?

L’hospitalité est en attente d’enracinement spirituel

La question cruciale que je ne fais qu’entr’ouvrir ici est alors la prise en charge « chez-soi » des hôtes. A la racine de l’hospitalité, il y a donc des personnes qui assument d’ouvrir le « chez-moi » où elles mangent et où elles dorment, où elles vivent tout simplement. L’Eglise saura-t-elle jouer de la complémentarité des communautés qui la font vivre ?

Justement, à Ligugé j’ai rencontré aussi Marie-Françoise, une amie de l’Abbaye qui s’est beaucoup impliquée, avec le Père Abbé il y a quelques années, dans un projet d’accueil de personnes en difficultés. Elle me partageait ses convictions à son tour :

- A l’origine, il y avait non pas « un projet » mais un concours de circonstances, un Kairos : une maison mise à disposition et un couple désireux de s’aventurer dans l’accueil.

- Leur objectif était de créer d’autres maisons pour ne pas porter en un seul lieu le poids de toutes les difficultés.

- Pour traverser les difficultés, il est important de partager et de creuser les convictions spirituelles qui enracinent la vie et les projets communs.

N’est-ce pas là une mission d’Eglise ?

Conclusion

 Hospitalité d’un bateau-chapelle : la réciprocité comme horizon du cambouis…

En conclusion de ce chemin qui nous renvoie à nos communautés de vie à notre enracinement spirituel, je vais revenir à l’éclat du cambouis de l’hospitalité au Je Sers. Eclat de la lumière du Christ qui nous éclaire dans le cambouis de nos plus profondes ambiguïtés.

L’hospitalité au quotidien a des visages…

- C’est par exemple Faouzzi qui vient de Paris pour emprunter 10 €. Il va les rendre, probablement, cela lui donnera l’occasion de repasser. Il venait pour parler.

- C’est aussi cet homme à qui j’avais dit que nous ne pouvions pas le loger… seulement lui proposer de déjeuner. Il est repassé quelques jours plus tard pour donner 10 €.

- C’est cette dame qui entre dans le bureau avec un tableau-horloge à l’effigie de Jésus et Marie en trois dimensions effet d’optique. La dame ne veut pas le jeter. Elle y tient beaucoup. Je la remercie de son don. Elle le tenait d’une personne maintenant décédée. La dame s’en va, les yeux humides d’avoir raconté son histoire.

- C’est encore la période des cadeaux à Noël. Ils arrivent par voitures entières. Regards de samaritains pour des enfants qui n’auraient rien. Nous devenons un réceptacle hospitalier aux rebuts ludiques de généreux consommateurs qui s’encombrent de jouets neufs.

- Et quand on nous a trop donné, c’est enfin les Roms : ils prennent une partie de ce qui nous encombre, tout simplement.

- Mais l’hospitalité, c’est encore cet ami qui donne régulièrement de l’argent, qui se proposait de donner du temps, et que nous avons sollicité pour qu’il donne l’espace de son hangar… Nous avons parlé confirmation : à lui d’accueillir ce que Dieu veut lui donner.

A Conflans s’expérimente de manière empirique une logique du don. Nous avons besoin de donner et de recevoir… Le bateau est un lieu hospitalier qui accueille tout ce qui circule. Comme autant de moyens pour se rencontrer, pour partager des peines, des joies, pour se connaître, se reconnaître : pour faire grandir l’amitié. Pour nous convertir à l’amitié de Fils de Dieu.

J’ai laisse un dernier exemple pour la fin. Chaque semaine nous donnons des yaourts et des saucisses au Carmel. Cela leur permet d’en prendre un peu pour elles, mais aussi d’en donner autour d’elles à des personnes qu’elles connaissent. A leur tour, elles nous donnent des hosties, qui servent pour la paroisse. Réciprocité de la table de l’eucharistie et de la table du repas… Avec la célébration du mystère pascal, nous voici arrivés au cœur de la foi. Depuis la place du célébrant, au Je Sers, on aperçoit la porte de la banque alimentaire : d’un même regard on embrasse l’assemblée présente, corps du Christ partageant son corps et à son sang, et les destinataires de cette aide, corps absent du Christ, communiant à ses souffrances.

 Alors La Pierre Blanche dans tout ça ? Ne serait-ce que par son nom, elle garde un horizon ouvert dans l’Eglise. Ses scories la rendent friable, mais elle a de précieux éclats d’hospitalité : « Voici, je me tiens à la porte et le frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je dînerai avec lui. » (Ap 3,20) Puisse-t-elle nous aider à écouter ce que l’Esprit dit aux Eglises.


 

[1] Le chapitre II de l’encyclique de Benoît XVI, Dieu est amour, s’intitule « L’exercice de l’amour de la part de l’Eglise en tant que ‘communauté d’amour’ ». Je me permets de mentionner aussi le très inspirant L’Eglise au cœur de Bruno Chenu.

 

[2] Itinéraires Augustiniens n°34, de juillet 2005, porte sur L’hospitalité. Je souligne ici la contribution de Hugues qui est explicitement référée à Conflans…

 

[3] Chapitre 53.

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